L’authentique Dracula : le frisson transylvanien [Critique]

20 octobre 2019 0 Par Kihaa

Dracula est le personnage incontournable et indémodable de la culture populaire, porte-étendard du folklore roumain et du mythe du vampire. En 1897, l’écrivain britannique marqua à jamais la littérature fantastique avec son roman Dracula. L’Authentique Dracula, est sorti le 24 septembre 2019 aux éditions Graph Zeppelin. Il s’agit de la traduction française de la série The Complete Dracula édité par Dynamite en 2010. Cette adaptation visuelle de l’œuvre de Bram Stoker par John Reppion (Doctor Who) et de Leah Moore est soutenue par les illustrations de Colton Worley (The Shadow Now). L’Authentique Dracula s’annonce comme une adaptation fidèle du roman mais est-ce vraiment le cas ou est-ce la représentation de trop ?

En rouge et noir

La couverture d’un comics ou d’une BD est le premier contact du lecteur avec son contenu. L’Authentique Dracula expose une somptueuse illustration du comte vampirique jouant sur le contraste du rouge et du noir. Deux couleurs qui caractérisent parfaitement le personnage puisqu’elles incarnent les ténèbres et l’hémoglobine. La partie supérieure rend hommage au roman gothique avec son jeu de lumière et le caractère inquiétant du comte. Le dessous de la couverture n’est autre qu’un gros plan de Dracula, renvoyant aux adaptations cinématographiques phares. Le clin d’œil avec le film Dracula  de 1931 (où Bela Lugosi incarnait le vampire) se retrouve jusque dans le choix de police !

L’histoire débute alors avec une autre œuvre de Bram Stoker, la nouvelle intitulée L’invité de Dracula. Cet écrit a toujours divisé les spécialistes puisqu’il serait pour les uns le premier chapitre du roman Dracula et pour les autres, une contrefaçon. Leah Moore et John Reppion en font le préquel de l’histoire et justifieront leur choix de cette façon : « L’invité de Dracula est un texte moins connu et en tant que tel, il confère une ouverture pleine de fraîcheur à l’histoire ». Le notaire anglais Jonathan Harker traverse Munich pendant la nuit de Walpurgis ou Walpurgisnacht. En explorant des lieux désertés, il comprendra à ses dépens que des créatures surnaturelles rôdent. Haker ne devra son salut qu’à un télégramme de Dracula qui l’attend en Transylvanie pour affaires.

L’Authentique Dracula s’articule en 5 chapitres qui conduiront le lecteur en Roumanie, de la rencontre de Harker avec Dracula jusqu’en Angleterre à Londres. Du journal du notaire, à celui de Mina Murray, aux lettres de Jack Seward, la narration suit le chemin originel du roman. L’histoire se construit via des échanges épistolaires ainsi que des articles de journaux et permet une alternance des points de vue.  A l’instar de la couverture, les chapitres sont introduits par une même cohérence visuelle, faite de rouge et noir. Les vampires sont les seuls à disposer d’une bulle sur fond noir lorsqu’ils prennent la parole. Les dessins de Colton Worley sont d’ailleurs proches de la peinture avec des scénettes figées, parfois sublimes et bucoliques et d’autres fois inquiétantes. Autant de détails présents pour renforcer l’identité graphique de l’œuvre. Ce n’est pas un hasard quand on sait que le roman gothique accordait une grande importance à l’esthétique et qu’il perdura à sa manière dans la mouvance romantique. La forêt menaçante, le cimetière, le château de Dracula, l’asile, la crypte sont autant de lieux attendus. Le lecteur contemporain pourrait néanmoins s’agacer d’en voir aussi peu et d’être sans cesse ramené dans un quotidien moins pesant. John Reppion et Leah Moore ont parfaitement saisi l’essence de Dracula !

Du vieil homme au jeune conquérant  

Oubliez le Dracula mégalo, bavard et sanguinaire hérité de l’imaginaire commun ! Dracula est avant tout un comte cultivé, rusé et en apparence civilisé. S’il est la star du roman, il n’en est pas moins furtif. En effet, sur 200 pages, ce n’est pas lui que le lecteur verra le plus. C’est tout à fait normal puisque l’intrigue gravite autour de lui mais d’une manière totalement diffuse. Il est plus souvent suggéré qu’observé. Autre représentation intéressante du vampire : sa forme brumeuse. D’ordinaire, il est plutôt convenu et attendu de le voir sous la forme d’une chauve-souris géante mais rarement sous celle d’une brume blanche avec des yeux rouges.  Le début du chapitre 2 met d’ailleurs en lumière cette dimension inquiétante de ce qui est craint mais ne peut être vu. Les hommes de l’équipage disparaissent les uns après les autres sans que le capitaine ne parvienne à distinguer ce qui se passe sur son bateau. La seule certitude qu’il partage avec le lecteur, c’est qu’il y a « quelque chose à bord ». 

Dans le large spectre des capacités souvent méconnues du grand public et attribuées à Dracula citons son lien avec le monde animal. Dans le monde moderne, les loups sont souvent utilisés par opposition aux vampires avec le mythe du loup-garou. Mais dans le Dracula de Bram Stoker, un loup blanc de Norvège nommé Bersicker est utilisé par le comte pour contrecarrer les protections humaines. Le professeur Van Helsing sera clair sur le sujet : « il commande aux créatures les plus viles, comme le hibou, la chauve-souris, le papillon de nuit, le renard, le loup ou le rat ! ». S’il dispose d’une force extraordinaire, d’une capacité de rajeunissement avec le sang qu’il boit et de la possibilité d’escalader n’importe quel mur, Dracula n’en reste pas moins une créature avec des points faibles : fleurs d’ail sauvages, crucifix en argent, hostie bénite…

Dracula est indéniablement lié à une dimension sexuelle en s’attaquant aux femmes. D’abord à Lucy qu’il va épuiser de nuit en nuit et ensuite à Mina qu’il agressera lorsqu’elle partagera sa couche avec son mari. L’aspect vaporeux du vampire, son lien avec le sommeil et les cauchemars le rapprochent des incubes. Ces créatures qui traversèrent les âges de l’Antiquité jusqu’au Moyen âge et qui abusaient de leur victime pendant leur sommeil. Mais le comte est surtout un ennemi qui construit son jeu et n’abat pas toutes ses cartes. Calculateur, patient et déterminé, le comte se montre particulièrement rancunier : « ma vengeance s’opère sur plusieurs siècles. Elle n’est pas limitée par le temps ». Ce trait de personnalité est d’ailleurs souligné par le professeur Van Helsing qui explique que de son vivant, Dracula s’attaqueait aux Turcs et malgré ses défaites, continua jusqu’à obtention de la victoire. C’est précisément pour cette raison que les hommes vont s’unir pour le traquer.

De l’enquête à la traque

Grâce à l’Authentique Dracula, les échanges épistolaires et les témoignages prennent vie. Le lecteur devient omniscient, disposant des émotions, des doutes et des conclusions de chaque personnage. Il les voit balbutier, se tromper, échouer et suit la logique de leur raisonnement. En disposant d’informations que les personnages n’ont pas encore, le lecteur peut reconstruire les pièces du puzzle. L’adaptation visuelle du roman aide vraiment en ce sens, puisque les auteurs ont pris le parti d’illustrer certaines descriptions abstraites. En donnant vie aux articles de journaux et aux écrits intimes des personnages, L’Authentique Dracula conserve sa fidélité au roman tout en apportant un rythme naturel très appréciable. Nul besoin d’action à toutes les pages pour se satisfaire de l’histoire. Il faudra d’ailleurs attendre la fin de la BD pour assister à une course-poursuite très « western ». Le combat final ne sera d’ailleurs pas toujours au goût de tous les lecteurs, bien trop habitués à la vision moderne de Dracula.  

Le comte n’est pas le personnage principal comme nous l’expliquions auparavant. En fait, ce sont surtout les humains et notamment les hommes qui le sont : le noble Arthur, le notaire Harker, le texan Morris et bien entendu les deux professeurs, Seward et Van Helsing. Avec nos deux médecins, le savoir et le raisonnement scientifique deviennent des alliés pour lutter contre le mal. Van Helsing s’éloigne des représentations que l’on en a pour coller davantage à la vision de Bram Stoker. Cet érudit, plus âgé, est l’élément unificateur. C’est grâce à lui que les hommes vont s’associer et lutter ensemble. Mais ça serait un peu malhonnête d’oublier la présence de Mina Murray, la seule femme qui brille par la subtilité de son esprit. Mina n’est pas seulement la femme de Harker ou l’amie de Lucy, elle est surtout dactylographe. Détail qui a son importance puisqu’elle va immortaliser les journaux des différents protagonistes via la machine à écrire. C’est aussi elle qui remettra plusieurs fois le groupe des hommes sur le bon chemin de l’enquête. Enfin, elle n’a pas succombé à la tentation de l’immortalité et ce, en dépit des méfaits de Dracula.

Mention spéciale à Renfield, le patient de l’asile du Docteur Seward. Il est par excellence le personnage torturé, oscillant entre aliénations, prédictions et brefs moments de lucidité. Renfield résume à lui seul cette question essentielle : celui que l’on qualifie de fou l’est-il vraiment ?

L’Authentique Dracula est une adaptation respectueuse du roman de Bram Stoker qui fait la part belle à l’esthétique, la narration épistolaire et au fantastique. Les dessins s’inspirent de la peinture pour mieux embrasser le XIXème siècle et sanctuariser le mythe de Dracula. Colton Worley déroule son art du contraste et du réalisme pour mieux retranscrire l’ambiance mystérieuse du roman. John Reppion et son épouse Leah Moore voulaient que leur transcription visuelle soit fidèle et elle l’est. Cette loyauté sans faille peut être perçue selon les convenances comme une qualité ou un défaut. À trop fouler les pas du maître, on en épouse les ombres !

Note
  • 8/10
    Dessins - 8/10
  • 7/10
    Histoire - 7/10
  • 6/10
    Personnages - 6/10
  • 8/10
    Edition - 8/10
7.3/10

Résumé

L’Authentique Dracula  rend honneur au Dracula de Bram Stoker grâce à une mise en scène loyale et aux talents du dessinateur Colton Worley. Si vous cherchez l’adaptation la plus fidèle de Dracula, saisissez votre chance !