La Fin des Irin – Volume 1 : quand la SF s’empare des Hébreux [Critique]
20 octobre 2020La fin des Irin (Last of Irin) est un webcomic disponible gratuitement en français et en anglais. Le site jouît d’une grande interactivité et met de nouvelles planches en ligne tous les mercredis, pour la plus grande satisfaction des lecteurs. Le projet artistique et intellectuel ne laisse pas insensible : nous ne sommes plus habitués à avoir accès à un contenu culturel non payant ! La fin des Irin est une trilogie, imaginée par Rob McMillan et illustrée par Wouter Gort, qui revisite le conflit hébraïque entre Baal et Yahweh dans un univers profondément futuriste. Le pari est osé, nombreuses sont les fictions à tenter une réécriture de mythes célèbres et de faits bibliques mais très peu parviennent à s’élever. La fin des Irin est-elle une énième fiction à surfer sur cette mode ou vaut-elle le détour ?
Baal, Yahweh et leurs descendants
« Cette trilogie suit le conflit entre deux dieux cananéens, les frères Yahweh et Baal, propriétaires de mines d’or et maîtres de nos esclaves d’ancêtres. Nous les connaissons mieux aujourd’hui sous les noms de Dieu et Diable. La querelle familiale interstellaire a eu des répercussions à travers l’histoire de l’humanité, et son chemin mène, en même temps qu’il se resserre, à une jeune arménienne immigrée qui grandit en Suède de nos jours. Alors que le conflit se ranime, Anahita reprend le flambeau de ses illustres ancêtres. »
Cette présentation officielle de La Fin des Irin résume parfaitement les enjeux politico-religieux qui balaient la galaxie et dominent le destin des hommes. D’ailleurs, autant être clair, l’histoire n’est pas simple à appréhender. Si vous n’êtes pas un habitué des religions, il est possible que le webcomic vous perde en route. La faute à un format PDF qui vous obligera souvent à zoomer dézoomer (en prenant garde de ne pas aller trop vite, sous peine de changer de page) et à une pléthore de noms complexes à retenir. Le néophyte sera plus facilement perdu, contrairement aux connaisseurs et théologiens. Le lecteur déplorera des longueurs pas toujours utiles et un manque d’action parfois palpable. Par son sujet et sa mise en scène, La Fin des Irin ne s’adresse donc pas à tous.
L’arbre généalogique placé au début s’avère d’un grand appui et d’un précieux soutien pour conceptualiser les liens de filiation. Pour le reste, nul besoin d’être un expert pour comprendre qui sont Baal et Yahweh. Le webcomic reprend des attributs bien marqués permettant une différenciation claire entre les deux camps. Baal et les siens sont rattachés aux cornes, aux armures noires aux ailes de Chiroptères, au croissant de lune et aux sacrifices brutaux. A l’inverse tout ce qui est lié à Yahweh est associé au blanc vestimentaire et attributs capillaires. Satan a une place intéressante dans l’histoire, se définissant lui-même comme : « un vilain petit virus créé par les humains ». Il transcende son image de « tentateur » pour endosser peu à peu celui de guide et rééquilibrer l’ordre stellaire. La postérité ne retiendra pourtant pas cela : « Tu constateras que j’ai fait des choses terribles. Que je suis effectivement le Diable qu’on me dit être. Ne sois pas navrée de cette postérité car je l’ai bien méritée, et surtout, je ne regrette rien. » La fin des Irin ne se démarque pas tant par le postulat de départ que grâce à des personnages inventés, qui rehaussent le récit.
Anahita, entre héritage, espérance et interdit
Alors que les intrigues politico-économiques font rage dans la galaxie entre les deux camps, La Fin des Irin s’attarde sur le destin tragique d’une adolescente. Atteinte d’une maladie incurable, Anahita se déplace en fauteuil roulant et voit ses derniers espoirs de guérison, réduits à néant. Sa rencontre avec Satan va lui ouvrir bien des portes, dont celles de ses origines. D’un caractère déterminé et curieux, la jeune fille va devoir se découvrir et puiser au fond d’elle-même pour survivre. Elle ne manque d’ailleurs pas de répondant, en témoigne sa confrontation avec d’autres adolescents harceleurs qui l’insultent de Gollum. Anahita répondra par un pincement de testicules et une réplique cinglante : « mieux vaut Gollum qu’un troll ». D’une mort certaine à la renaissance, Anahita est la métaphore du miracle. L’apparence physique de l’adolescente au début du tome tranche profondément avec la fin : le choix des couleurs, la corpulence et la mobilité.
Anahita n’est pas spécialement croyante, contrairement à sa mère. C’est d’ailleurs dans cette relation mère-fille que l’image du Satan tentateur sera la plus véhiculée : « Tu attires le Diable dans cette maison, Anahita ! Je l’ai vu. Il t’a poussée au péché, comme il l’a fait avec moi ». Une scission se fait d’ailleurs entre les deux femmes sur leur vision du monde. Anahita repousse la foi aveugle et passive (« J’ai passé assez de temps à genoux, maman. Et toi aussi… » ), au profit de la vérité.
Une épopée spatiale
La fin des Irin propose des dessins entièrement numériques, mettant en valeur d’impressionnants environnements. Le style ne plaira sans doute pas à tout le monde, c’est une évidence. Néanmoins, il a l’avantage d’être assez visuel et d’amener une sensation de dépaysement. De la Terre, à Caspius, en passant par Soma pour finir dans l’espace, La Fin des Irin emmène dans sa valise toute la grandeur du Space Opera : technologie spatiale, codex, situation politique complexe, gigantisme, altérité… Le drame familial de la petite histoire vient embrasser celui de la grande. Wariq, fils déchu, jouira de sa liberté d’une façon bien personnelle. Ce détail aura pourtant une forte incidence sur le destin des hommes et des personnages interconnectés.
Le webcomic est par sa définition même, lié à la technologie et plus précisément à internet. La Fin des Irin propose une cohérence d’ensemble en mettant à disposition un Codex en ligne sur les dieux, les lieux, les personnes, les maladies, les événements historiques et beaucoup d’autres choses. Ce même Codex que Satan mettra à disposition pour Anahita :
« Le codex contient la vérité nue. »
Cette volonté d’interaction est appréciable et renforce l’immersion. Le lecteur, tout comme Anahita, a accès à la connaissance, à condition qu’il se donne la peine de la consulter !
Le premier volume de La Fin des Irin transporte le lecteur dans une réécriture futuriste du conflit entre Baal et Yahweh. Ce webcomic, fort de ses dessins numériques, pourrait dans un premier temps vous perdre dans sa mythologie. Néanmoins, avec de la patience et de la persévérance, il vous plongera au cœur d’une intrigue galactique aux enjeux colossaux. Si La Fin des Irin fait preuve de quelques maladresses structurelles, elle n’en reste pas moins intéressante à parcourir et laisse espérer une suite plus percutante.
Note
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7.5/10
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6/10
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7/10
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6/10
Résumé
La Fin des Irin – Volume 1 est une expérience artistique à part entière, associant Webomic, Codex en ligne et format épisodique (des planches tous les mercredis). Le dessin numérique est surprenant de réalisme et nous plonge dans un univers futuriste où les divins Baal et Yahweh se confrontent à échelle galactique. Le sujet très engagé ne plaira pas à tout le monde, il en va de même pour les personnages. Pour ceux qui veulent tenter leur chance, le webcomic est en ligne gratuitement. Vous n’avez donc rien à perdre !